Suite aux
préliminaires de paix, les troupes allemandes doivent
défiler dans
Paris le 1er
mars. Devant le risque imminent d'un affrontement qui pourrait tourner
au
tragique pour les parisiens, la Commission provisoire de la
Garde nationale fait placarder sur les murs un texte le 29
février, l'affiche
noire,
invitant la population
à ne
pas réagir et à rester chez elle :
« (...) Toute
attaque servirait
à désigner le
peuple aux
coups des ennemis qui noieraient les revendications sociales dans un
fleuve de
sang (...)
»
La consigne est
suivie, il n'y aura aucun incident. Les allemands rentrent dans une
ville morte. Les rues sont désertes, les drapeaux noirs
pendent aux
fenêtres en signe de deuil et les boutiques sont
fermées. Les troupes allemandes s'orientent
vers les beaux quartiers, campent 2 jours autour des Champs
Elysées, puis se retirent.
Dès le 05 mars, Thiers,
quant-à lui, prépare les corps de la police et
de l'armée en vue de réprimer l'insurrection
qu'il compte déclencher
dans la
capitale.
Le 06 mars, le
gouvernement nomme
le général d'Aurelle de Paladines à la
tête de la Garde nationale. Mais
celle-ci, devenue
autonome,
déclare par la voix de ses
délégués, réunis le 10, lui
dénier toute
autorité.
Ce même 10
mars,
l'assemblée prend la décision de
siéger à Versailles. La prochaine session est
prévue pour le 20
mars. Paris perd, de ce fait, son
statut de capitale. C'est une double insulte pour le peuple parisien.
D'abord ce choix a une valeur symbolique, Versailles est
la ville monarchiste alors que Paris est la cité
républicaine. Ensuite
cela montre que le pouvoir ne fait aucun cas de la longue
résistance que les
parisiens ont opposée aux allemands, Paris
est la
seule ville prise
dans les combats qui n'a pas été vaincue, et des
souffrances qu'ils ont
endurées.
Cette
mesure scelle assurément le destin de la Commune. En
témoigneront les
nombreuses déclarations qui suivront l'insurrection du 18
mars,
insistant sur le fait que Paris retrouvait alors sa
vraie
place, la
première,
voir même celle du Porte
drapeau de l'humanité.
En ce 10 mars, les
députés votent également la
suppression du moratoire du 13/08/1870, qui
suspendait le paiement des loyers et des
échéances commerciales pour la
durée du conflit. De plus aux sommes à
rembourser, s'ajoute un intérêt
calculé à partir de la date où la
dette a été contractée. C'est
à
nouveau un coup très dur porté aux
parisiens.
L'activité
économique ayant été
bloquée durant le siège, un grand nombre de
petits
patrons, de commerçants et d'artisans n'ont rien en caisse
pour faire
face. Plus de 150 000
personnes se retrouvent
ainsi menacées d'expulsion, de faillite et de poursuite
judicaire. Les
députés de
Paris tentent de faire reculer l'assemblée, mais en vain.
Le lendemain,
c'est l'action politique qui est visée. Le
général Vinoy, qui a
remplacé Trochu au
commandement de l'armée de Paris, fait
interdire 6 journaux républicains, la
Bouche de fer, la
Caricature, le Cri du
peuple,
le Mot
d'ordre, le
Père Duchêne et le
Vengeur. Il fait fermer également les clubs.
D'autre part
le Conseil
de guerre
condamne à mort par contumace Auguste
Blanqui et
Gustave Flourens, en raison de
leur implication dans l'insurrection du 31 octobre. Jules Vallès,
quant-à lui, écope
d'une peine de 6 mois de prison.
Le 15, on l'a vu
plus haut, la Garde nationale
élit les membres de son
Comité central. Ceux-ci sont des inconnus venant du peuple,
des ouvriers,
des
petits patrons, des artisans, des petits commerçants, des
professions
libérales. On y
retrouve Varlin. La
Garde nationale devient officiellement une armée
populaire
autogérée. Elle ne dépend plus de
l'état. Le Comité central se choisit
Garibaldi pour être sa tête, mais celui-ci
décline l'offre.
Le 16, Thiers s'installe à la
préfecture de Paris.
Le 17, il
fait arrêter Auguste Blanqui qui se repose dans le
Lot.
Dans la soirée du 17,
il réunit un conseil de gouvernement qu'il
préside. Il
veut pacifier Paris avant la prochaine réunion de
l'assemblée du 20 mars. Son plan est donc de reprendre
ces
fameux canons
que le
Comité central a fait
mettre à l'abri à Montmartre et à
Belleville et de
quadriller militairement la ville. Pour faciliter
son entreprise, il fait libérer 300 détenus
de
droit commun, comptant
sur eux pour semer désordres et troubles. Dans la
soirée, un
ordre signé frauduleusement Clemenceau,
alors maire du XVIIIe
arrondissement, est envoyé aux Gardes nationaux qui gardent
les
canons, stipulant qu'ils peuvent rentrer chez eux. Ces derniers se
retrouvent, dès lors, sans
protection.
A 2 heures du matin, la réunion se
termine. La mission est confiée au
général Vinoy.
Les
canons sur la butte Montmartre
IV
: La Commune est en fleurs
La
journée du
18 mars
Les
opérations militaires démarrent à 3
heures du matin. Une division de 4000 hommes est
chargée de
reprendre les canons à Montmartre. Une division de 6000
hommes doit occuper les Buttes-Chaumont, les gares de
Strasbourg et du
Nord, neutraliser
Belleville et Menilmontant, et bloquer les principaux
carrefours. Une 3e
division
doit se déployer sur la place de la Bastille, autour de
l'Hôtel
de Ville,
dans l'île de la cité, à Saint Michel
et
tenir les ponts
d'Austerlitz.
Les troupes arrivent à Montmartre et
aux
Buttes-Chaumont vers
5 heures 30. Elles réalisent qu'elles n'ont pas d'attelages
pour
enlever
les canons. C'est du temps de perdu et cela provoque
beaucoup de remue-ménage.
Paris se réveille et
découvre les
soldats dans ses rues. Une affiche, placardée sur les murs,
signée Thiers, proclame :
- « HABITANTS DE
PARIS, (...) Depuis quelque temps,
des
hommes mal intentionnés, sous prétexte de
résister
aux Prussiens qui ne sont plus dans vos murs, se sont
constitués
les maîtres d’une partie de la ville, (...) le
gouvernement
est
résolu d'agir. Les coupables qui ont prétendu
instituer
un gouvernement vont être livrés à la
justice
régulière. Les canons
dérobés à
l’État vont être rétablis
dans les arsenaux,
et pour exécuter cet acte urgent de justice et de raison le
gouvernement compte sur votre concours. Que les bons citoyens se
séparent des mauvais, qu’ils aident à
la force
publique au lieu de lui résister, (...)
il faut à tout prix et sans un jour de retard que
l’ordre,
condition de votre bien-être, renaisse entier,
immédiat et
inaltérable.
»
Une autre affiche, signée par le
général d'Aurelle de Paladines est
adressée
directement aux Gardes nationaux. Elle les somme de s'en remettre aux
chefs officiellement nommés par le gouvernement et de se
retourner contre le
Comité central.
A Montmartre, on commence à se
regouper. Deux
tambours
sonnent l'alerte
et
des Gardes nationaux accourent. A 8
heures, il y a
foule dans les rues et notamment de nombreuses femmes. Ces
dernières vont jouer un rôle essentiel dans les
événements de cette journée, en se
posant face aux
troupes, paralysant leurs mouvements, et surtout les exhortant
à
la fraternisation.
Louise
Michel et Théophile
Ferré, à la tête du
Comité de vigilance du XVIIIe
arrondissement, appellent à la mobilsation. Une foule
composée de nombreuses femmes et d'enfants, entre-autres,
monte
sur
la Butte-Montmartre. Les troupes ont
commencé
à emmener quelques canons, mais la population,
arrivée
sur
les lieux fait maintenant front. Les ménagères
apostrophent les soldats. Lorsque la foule
s'avance, bien décidée à s'opposer
à ce
retrait, le
général Lecomte donne l'ordre de tirer. Ses
hommes
hésitent puis refusent d'obéir, ils
lèvent la
crosse en l'air. Il est environ 9 heures, le moment est magique le
contingent
militaire fraternise avec le
peuple. A 10 H 30, Montmartre est à nouveau aux mains des
parisiens.
Lecomte est fait prisonnier avec quelques
officiers et 80 gendarmes. Dans le même temps des barricades
s'érigent dans les rues.
Sur les Buttes-Chaumont,
les Gardes nationaux qui ont les canons sous leur protection,
repoussent l'armée. A Belleville les troupes
lèvent aussi
la crosse en l'air et se rallient au peuple.
Peu
à peu, sans que le Comité central ne joue le
moindre
rôle,
celui-ci n'est mis au courant des événements
qu'au fur et
à mesure de la journée, et sans qu'il n'y ait
aucune
coordination entre eux, chaque Comité de quartier
se rend maître de son territoire. La première
mairie
occupée est celle du XIIIe
arrondissement, un fief blanquiste, sous l'égide de Victor Duval, il
est 10 H.
Seul un bref affrontement aura lieu, sur la place
Pigalle. Un
capitaine de chasseurs donne l'ordre de charger la foule, des gardes
républicains ripostent et le tuent.
On
comptera
également 2 exécutions. La
première est celle
du général
Clément Thomas, qui fut
l'un
des artisans de la sanglante répression des
journées de juin 1848. Venu dans Paris en
civil pour observer les événements, il est
reconnu par
des
fédérés. Très vite, il est
entouré.
Certains essayent de le protéger mais trop de monde
réclame sa tête. Il est passé par les
armes. La
seconde est celle du général Lecomte. Elle a lieu
aussi
dans
une grande confusion. Encore une fois, certaines
personnalités
et des Gardes nationaux tentent de s'interposer, mais ils sont
débordés. Il
semble que le
général Lecomte ait été
fusillé par ses
propres hommes. Les autres officiers sont sauvés, puis
libérés sur
intervention de
Jaclard et
de Clémenceau.
Du côté des
insurgés, Turpin, un Garde national qui veillait sur les
canons de Montmartre sera grièvement blessé par
un Gardien de la paix, accompagnant le général
Lecomte. Il succombera de ses blessures 9 jours plus tard et sera le
premier mort de la Commune.
Ce seront les seuls actes de violence de
la journée. L'insurrection du 18 mars va se
réaliser de manière toute
pacifique. Elle prend forme, non pas en raison d'une quelconque
volonté de prendre le pouvoir de la part du
Comité central qui, nous l'avons
mentionné
ci-dessus, ne dirige rien de ce
qui se passe dans les rues, et qui n'est, de toute façon,
absolument
pas préparé à mener une telle action,
mais suite
aux défections des troupes versaillaises face à
la
volonté des parisiens qui ne veulent pas être
dépossédés de ce qui leur appartient
et qui
s'opposent à ce qui ressemble à un
coup-d'état
dans leur ville.
Le
processus de
fraternisation entre le peuple et l'armée se
propage dans
la capitale, dans une atmosphère de
fête. Les
gens amènent du vin et à manger aux
soldats. Tant il
y a foule dans les rues, les
bataillons de la Garde nationale ont du mal à progresser,
alors même
qu'ils ne
rencontrent aucune résistance. Ils sont acclamés.
Le
gouvernement essaye de faire venir à la rescousse de
l'armée, la Garde nationale de la Rive droite,
composée
d'éléments bourgeois. Très peu
répondent à l'appel et du coup ceux qui ont
commencés
à se regrouper préfèrent abandonner la
partie.
Pour le pouvoir, c'est un
désâstre. Quand les troupes ne se rangent pas du
côté du
peuple, elles refluent en désordre, abandonnant
même
leur artillerie.
Vers
13 h, un conseil des ministres se tient. Thiers envisage
déjà de quitter Paris, avec
l'intention de
revenir en force, selon une stratégie
qu'il a
déjà appliquée lors des
révoltes parsiennes
et lyonnaises de 1834, alors qu'il était ministre de
l'intérieur. Cependant certains membres du gouvernement, tel
Jules Ferry, trouvent cette fuite honteuse, et veulent
rester pour
résister.
Un passage de bataillons de la Garde nationale sous les
fenêtres
du ministère provoque l'affolement et la plupart de ceux qui
étaient hostiles à un retrait, y sont favorables
dès lors. A 16 H, Thiers part pour Versailles et donne
l'ordre
à
Vinoy
de faire évacuer l'armée de Paris.
Aux alentours de 15 h, un
vague ordre du Comité central appelle à converger
vers
l'Hôtel de ville. A ce moment,
presque toute la rive gauche et une grande partie de la rive
droite de la capitale sont entre les mains des
insurgés. Les
jeux
sont déjà faits mais ces derniers
ne le
savent pas.
A
20 h, le quartier
général de la
Garde nationale, place vendôme, est occupé par
Varlin et ses hommes qui ont
fait jonction avec d'autres bataillons. Vinoy, au même
moment,
donne l'ordre aux troupes d'abandonner l'Hôtel
de ville, qui est bientôt cerné. Ensuite, c'est la
préfecture de police qui tombe aux mains de Duval. A 23
h, l'Hôtel
de ville est investi par les Gardes nationaux et les
rues adjacentes sont totalement occupées.
A minuit, tous les bâtiments publics,
à l'exception de la Banque de France et de l'Hôtel
des Postes, sont entre les mains des insurgés. Une
vingtaine de membres du Comité central se
réunit dans les locaux de l'Hôtel de ville,
sur lequel
flotte un drapeau rouge.
L'insurrection triomphe mais le Comité
central est dépassé par les
événements.
Même s'il s'était donné pour mission de
conduire le
peuple vers une transformation révolutionnaire, celle-ci
arrive
trop tôt et il n'y est pas préparé. Il
devient, malgré lui détenteur d'un pouvoir, dont
il ne se
sent pas légitime et ne sait que faire. Vers minuit, il
tient cependant sa
première séance.
Place Clichy : le 18
mars
Belleville : le 18 mars