Avec l'essor de l'industrie durant le XIX
e
siècle, une classe ouvrière misérable
se développe en masse. Peu à peu,
au travers des
luttes, elle prend conscience d'elle-même, de sa force puis
de
l'universalité de sa
condition. Par son statut, elle semble revétir un
rôle historique,
celui de conduire au dépassement du capitalisme et
par la suite à
l'émancipation universelle de tous les Hommes. Cela
constituerait
l'ultime étape de la république, à
savoir l'avènement d'une société
sans classes et sans état à l'échelle
mondiale. Ainsi émerge l'idée
de créer une association internationale des travailleurs
pour les unir
dans un combat commun.
Les premières tentatives sont
éphémères. L'
Association
démocratique,
qui voit le jour à Bruxelles en 1845 avec Marx
comme
vice-président ne dure que 3 ans. L'
International
association fondée à Londres en 1856
périclite aussi au bout de 3 ans,
en raison des conflits entre proudhoniens et anarchistes radicaux.
Dans les années 1860, l'Angleterre est
le grand refuge
des proscrits politiques de l'Europe. C'est aussi le pays des
trade-unions,
premiers syndicats disposant d'une force véritable, lui
octroyant un rôle d'avant garde du mouvement ouvrier.
Le 22 juillet 1863, les dirigeants des trade unions
organisent un meeting en faveur de l'indépendance de la
Pologne. Six
délégués ouvriers français
y participent. Les bases
d'une association sont jetées.
Création de
l'Association
Internationale des Travailleurs
Le 29 septembre 1864, au cours d'un meeting au
Saint Martin's Hall de Londres, en marge de l'exposition
universelle de Londres, l'Association Internationale des Travailleurs,
plus connue
sous le nom de première Internationale est
fondée.
Un comité provisoire de 50 membres (21
anglais, 10
allemands, 9 français, 6 italiens, 2 polonais et 2 suisses)
est élu. Il
élabore les statuts de l'A.I.T.. Karl Marx qui serait
à
l'origine du projet, les rédige. Ils stipulent
que l'A.I.T.
est créée afin
d'oeuvrer à l'émancipation définitive
des travailleurs et à l'abolition
de
toute domination de classe. Elle doit être un point
central de communication et de coopération entre les
sociétés ouvrières
des différents pays, aspirant au même but, tout en
respectant la
spécificité de chacun. Des réunions
annuelles devront se tenir et
une liaison sera faite entre les groupes nationaux. Un manifeste
inaugural
accompagne les statuts, dans lequel, il est dressé un bilan
de la
condition ouvrière et de ses luttes.
L’AIT revendique également,
dans un premier temps
le
suffrage universel, la réduction du temps de travail,
l'abolition du
travail des enfants.
Entre 1864 et 67, des sections de
l'Internationale naissent en France, en Belgique, en Espagne, en Suisse
et en
Autriche, mais leur nombre reste restreint.
L'Internationale est, à ce moment,
impégnée des idées mutuellistes de
Proudhon. Un affrontement idéologique prend corps entre les
collectivistes anglais et allemands et les mutuellistes suisses et
français, notamment lors du second congrès qui a
lieu à Lausanne du 2
au 8 septembre 1867. Les seconds sont alors majoritaires. On y vote,
malgré tout, la motion finale :
«
l'émancipation sociale des travailleurs est
inséparable de leur
émancipation politique ».
En France, une crise économique en 1867
entraîne de
nombreuses grèves et des heurts sanglants avec
l'armée et la police. Le
gouvernement met alors en accusation l'Internationale. Un
procès a
lieu contre le comité directeur français
à la fin de l'année. S'ensuit une
répression à l'égard de ses membres,
mais cela ne va provoquer qu'une
multiplication des adhésions. Des
sections se créaient également dans de nouveaux
pays (Danemark, Hollande,
États-Unis etc...). On comptera 100 000 adhérents
en 1868.
Cette expansion va se traduire par une
évolution
idéologique. Au congrès de Bruxelles (6-13
septembre 1868), le courant
mutuelliste français tend à disparaître
au détriment d'un
anarchisme collectiviste et anti-autoritaire, sous l'égide
d'un ouvrier
relieur
Varlin. Si
l'idée
de coopérative subsiste, c'est pour en faire la base d'une
société
socialiste. On déclare ensuite que la grève,
moyen auquel est opposé
Proudhon, est une arme légitime. On parle même de
collectivisation des
sols, des mines et des moyens de transports. Ces options se confirment,
l'année suivante à Bâle (5-12 septembre
1869). Il est
également
décidé à l'unanimité que
les ouvriers s'organisent dans des sociétés de
résistances, les syndicats.
L'Alliance
Internationale de la Démocratie
Socialiste, organisée par Bakounine,
adhère cette même année à
l'A.I.T. et s'auto dissout pour se fondre dans
l'Internationale. Son influence va se répandre
en
Espagne, en Italie, mais aussi dans le sud de la France. A
Bâle les
votes concrétisent sa suprématie (63 % des
délégués de l'A.I.T. se
regroupent autour
des idées collectivistes dites anti-autoritaires, 31 % se
rangent
derrière les collectivistes dits marxistes, 6 %
maintiennent
leurs
convictions mutuellistes.)
Bientôt, Marx et bakounine entrent en opposition.
Bakounine,
reproche à Marx son goût de la
discipline et son autoritarisme, Marx reproche à Bakounine
son
sentimentalisme et la faiblesse de ses théories. Le premier
défend une
position anti-étatique et fédéraliste,
le second préconise le
centralisme, le parlementarisme et l'action politique au sein d'un
parti, comme moyen de
lutte.
Bakounine
Marx
Face à la guerre qui s'annonce entre la
France
et la Prusse
en
1870, le conseil général de l'Internationale
à Londres, publie un
manifeste, qui se termine par cette phrase
«
La classe ouvrière anglaise tend une main fraternelle aux
travailleurs
français et allemands. Elle est intimement convaincue que
quelques
puissent être les résultats de cette horrible
guerre, l'alliance des
classes ouvrières de tous les pays finira par tuer la guerre
».
Le 12 juillet, la fédération des sections
parisiennes écrit :
«
La guerre, pour une question de prépondérance ou
de dynastie, ne peut
être, aux yeux des travailleurs qu'une criminelle
absurdité ».
Ces appels à la fraternité
n'empêcheront pas le
déclenchement des hostilités le 19 juillet.
Dès lors, un élan
patriotique, prend le dessus en France. Le 5
e
congrès de
l'A.I.T. qui, devait avoir lieu à Paris, en septembre est
annulé.
A la fin de la guerre, en dépit du
très grand nombre
d'adhérents,
qu'elle affiche, et même si l'influence des internationaux
français n'a
jamais été aussi forte sur le mouvement
révolutionnaire,
l'Internationale se retrouve dans une très grande
désorganisation.
En
avril 1870, lors de son congrès
régional, la fédération romande
(suisse), à laquelle appartient
Bakounine, s'est scindée en 2 groupes quant à
l'attitude
à adopter face aux gouvernements et aux partis
politiques.
Les bakouninistes, qui vont prendre le nom de
Jurassiens, disent que :
- «
toute
participation de la classe ouvrière à
la politique bourgeoise gouvernementale ne peut avoir d'autre
résultat
que la consolidation de l'ordre des choses existant, ce qui
paralyserait l'action révolutionnaire socialiste du
prolétariat. Le
congrès romand commande à toutes les sections de
l'A.I.T. de renoncer à
toute action ayant pour but d'opérer la transformation
sociale au moyen
des réformes politiques nationales, et de porter toute leur
activité
sur la constitution fédérative de corps de
métiers, seul moyen
d'assurer le succès de la révolution sociale.
Cette fédération est la
véritable représentation du travail, qui doit
avoir lieu absolument en
dehors des gouvernements politiques. »
Les Marxistes soutiennent que :
- «
l'abstention
politique est funeste par ses conséquences pour notre
œuvre commune.
Quand nous professons l'intervention politique et les candidatures
ouvrières, nous voulons seulement nous servir de cette
représentation
comme d'un moyen d'agitation qui ne doit pas être
négligé dans notre
tactique. Nous croyons qu'individuellement chaque membre doit
intervenir, autant que faire ce peut, dans la politique.
»
Par la suite, alors qu'on sent
l'insurrection venir à Paris, les deux courants sont encore
en
désaccord.
Tandis que Marx pense qu'il y a danger à la
déclencher prématurément et
dispense des conseils de modérations, Bakounine
prône la révolution
sociale. Les Internationaux parisiens tentent quant à eux,
de mettre
en place les bases d'un grand parti ouvrier, à travers les
comités,
qu'ils animent. L'insurrection communale 18 mars survient avant, que ce
projet se concrétise.
Sous la Commune, il y aura quelques
échanges de
courriers entre Marx et des internationaux parisiens, mais aussi
oralement via un
commerçant allemand, voyageant toute l'année pour
ses affaires, entre
Paris et Londres. Il envoie des mises en garde, des avertissements et
des conseils, en fonction d'informations qu'il a sur le
déroulement des
évènements. Il écrit quelques articles
de presse favorables aux
parisiens. Les
Internationaux parisiens participent quant à eux, activement
au projet
communal. Beaucoup vont y trouver la mort, où seront
déportés. Certains
réussiront à s'exiler.
Au lendemain de la Commune, l'Internationale est mise hors
la loi, en France, en Espagne; ses militants sont poursuivis en
Allemagne et au Danemark. De plus elle perd des cadres très
valeureux,
tel Varlin. La scission des sections romandes déborde
bientôt de la
Suisse. Les Jurassiens trouvent des sympathies chez les espagnols, les
belges et les français. Ajoutons à cela des
polémiques entre les
éxilés, le glas n'est pas loin.
Des manœuvres conciliatrices
tentées au sein des
section romandes, puis à la conférence de Londres
en 1871 vont échouer.
Le Conseil Général de Londres, rappelle aux
jurassiens que l'action
politique est reconnue comme moyen d'émancipation,
dans les
statuts de l'A.I.T.. Il leur ait demandé de se
fondre dans la
fédération de Genève. Les jurassiens
refusent au nom du
principe statutaire d'autonomie.
Le 6 septembre 1871, les jurassiens se mettent en
marge de l'A.I.T. Ils adoptent de nouveaux statuts et contestent le
pouvoir de décision du conseil
général, qu'ils jugent «
hiérarchique et
autoritaire
». La scission définitive aura lieu
début septembre 1872, lors du 8
e
congrès de La Haye.
Le lieu de réunion, lui-même suscite des
polémiques. Beaucoup
pensait qu'il se tiendrait en Suisse. Lors de ce congrès
Bakounine est
exclu. Des miltants
et des fédérations se solidarisent avec lui et
démissionnent. Le siège de
l'A.I.T. est transféré à New York.
Une nouvelle A.I.T. dite
anti-autoritaire se
forme sous l'influence des Jurassiens à Saint-Imier le 15
septembre 1872. Les sections espagnoles, italiennes
françaises et quelques autres sont présentes.
Elle se revendique du
collectivisme
révolutionnaire avec la volonté
de mettre en oeuvre
un système économique
autogéré en dehors de toute autorité,
de toute
centralisation, de tout état et se donne comme objectif,
«
la
destruction de tout pouvoir
politique par la grève révolutionnaire ».
Les 2 Internationales tiennent des congrès
différents. Les fédéralistes
établissent de nouveaux statuts et suppriment le Conseil
Général, au profit de l'autonomie des
fédérations. C'est à ce moment
que Bakounine se retire, alors que ses idées triomphent. A
contrario, l'Internationale des marxistes se disloque peu à
peu.
Le 15 juillet 1876, est prononcée
à Philadelphie,
la dissolution du conseil général de la
première Internationale.
L'A.I.T. fédéraliste va
continuer ses congrès
jusqu'en 1877, date à laquelle, eut lieu
également un Congrès
général socialiste à
Genève, d’où prit son essor
l’Internationale
social-démocrate. On finit par s’entendre de
façon qu’un bureau commun
pour les deux Internationales soit créé.
Le projet échoue rapidement. Les anarchistes, se
divisent
eux-mêmes, certains prônant l'action individuelle,
voir même d'entrer
dans l'illégalité pour combattre, les autres,
restant attachés au
courant collectiviste.
La suite, ce sera la création de nouvelles
Internationales.
Elles se succèderont avec des divisions constantes, qui au
fur et à
mesure se multiplieront. Se répercutant dans le mouvement
ouvrier,
elles ne feront, au final, que de l'affaiblir.
Dommage, l'idée
était
belle et ces
conceptions divergentes, plutôt que d'être mises
constamment en
opposition, auraient pu être prises comme
complémentaires. Marx avait, sans nul doute, une grande
maîtrise
analytique, mais Bakounine peut être vu comme son
garde-chiourme, en
mettant en avant le risque d'une dérive autoritaire. Il
semble annoncer
avant l'heure ce qui va se passer au XX
e
siècle avec, d'abord la Révolution Russe, puis la
Chinoise et toutes
les prises de pouvoir faites au nom d'une doctrine marxiste. Ajourd'hui
que la supercherie est tombée, il serait peut être
judicieux de réunir
ensemble les 2 frères ennemis et d'arrêter toutes
ces querelles de
chapelle. L'Histoire n'est pas finie......